NATACHA ATLAS
Article de Vivian(e) Vog paru dans le numéro 4 d'OCTOPUS (printemps/été 1996)
À en juger par la pochette de son premier album "Diaspora" (Mantra/Labels) ,on pouvait s'attendre au mieux à une version péplum d'un métissage ethno-trance d'un goût passager. Certes, Natacha Atlas joue admirablement de sa ressemblance avec Elizabeth Taylor dans le Cléopatre de Joseph Mankiewicz, mais les couleurs criardes de la pochette donnait une vision par trop carte postale à un fantasme pour l'Egypte Antique qui pouvait nous faire craindre le pire en matière de kitsch.
Fort heureusement, l'écoute de "Diaspora" balaiera tous nos préjugés et en fera l'un des albums de l'année 95. Que ce soit la basse profondément Dub du morceau Diaspora, des violons de Leysh Nat'Arak, l'oud de Iskanderia ou de la synthèse entre Haendel et la musique traditionnelle égyptienne sur Feres, la musique de Natacha Atlas est un ravissement atemporel et pourtant profondément actuel. S'identifiant au rêve de Cléopatre d'unifier l'Orient et l'Occident, Natacha Atlas réussit la gageure de mêler une technologie occidentale à une sensibilité moyen-orientale qu'elle n'a connu que par procuration.
Née de parents arabes et juifs, elle a en effet passée son enfance dans une banlieue marocaine de...Bruxelles. Ce qui ne l'a pas empéchée d'y apprendre à parler le Français, l'Espagnol, l'Arabe et l'Anglais et la fameuse danse du ventre. Alors adolescente, elle partagea son temps entre Northampton en Angleterre et la Belgique, et curieusement commença sa carrière musicale par le rock s'offrant même le luxe de jouer en première partie de...Bauhaus (d'ailleurs, elle remercie Daniel Ash sur "Diaspora"). De manière anecdotique, l'histoire retiendra qu'elle joua dans un groupe belge de salsa du nom de Mandanga, mais c'est par l'intermédiaire des dirigeants de Nation records qu'elle rencontra Jah Wobble qui venait de former ses Invaders Of The Heart.
Nous la retrouvons donc une première fois sur l'album propret "Rising above Bedlam", sorti en 91, dont nous retiendrons surtout Soledad , pour sa retenue salutaire et son hispanisante mélodie orientale.
Parallèlement, elle devait chanter avec Local sur Timbal , qui devait faire les délices de la compilation Fuse Two de Nation records. C'est à ce moment qu'elle rencontre les membres de Trans-Global-Underground qui sortiront leur premier album "Dream Of 100 Nations" en 93. TGU deviendra l'un des groupes les plus intéressants de cette mouvance "ethno techno" ou "global groove" comme ne tarderons pas à l'étiqueter certains. En 95, ce fut la sortie d'"International Times" qui les consacra avec un formidable duo sur Lookee Here, remixé par Dread Zone, entre Natacha et Heitham Al Sayed de Senser, et à l'automne dernier la très bonne compilation de remixes "Interplanetary Meltdown". Entre temps, elle aura de nouveau collaborée avec Jah Wobble sur les albums "Take Me To God" en 94 et surtout sur le dernier "Heaven & Earth" où elle interprète A LOve Song, sublime promenade amoureuse; sans oublier sa participation au hit paki-jungle Arranged Mariage d'Apache Indian.
Et puis, évidemment ce fabuleux album solo en 95, "Diaspora", où Natacha Atlas part à la recherche de ses racines moyen-orientale en accentuant le coté plus mélodique et peut-être plus diversifié de ses multiples influences, tout en étant toujours secondé par ses trois fidèles amis de TGU. Sans nier l'aspect exotique que peut revêtir des morceaux aussi ancré dans la tradition que Feres , ou d'autres plus ouvertement groove comme le nouveau single Yalla Chant, Natacha Atlas a réussi à les transcender par une authenticité accrémenté d'une spiritualité qui nous console des frasques du milieu Pop-rock actuel. Elle a donc choisi de pousser plus loin la recherche qu'effectue TGU de fusionner la World music et une Dance music moderne, en y ajoutant une âme qui lui faisait peut-être défaut et par ce fait à toucher des publics potentiels beaucoup plus vaste; c'est-à-dire autant ceux qui viennent de la musique indépendante underground et que le public des musiques traditionnelles qu'ils soient occidentaux ou orientaux.
Notre rencontre avec Natacha Atlas s'est effectuée avant un tournage pour Canal Plus où elle nous est apparue un peu stréssée par tout ce mouvement autour d'elle, puis plus relaxée après nous avoir fait écouter un morceau inédit qu'elle venait d'enregistrer au Caire avec un orchestre traditionnel égyptien dans la lignée du morceau Feres.
(Natacha Atlas s'exprimant quasiment en français, il nous a paru opportun de ne pas corriger l'aspect parlé de cete interview, pour ne pas dénaturer ses propos en les rendant plus littéraires).
Natacha- Je ne m'attendais pas à un tel accueil. J'avais deux choses dans ma tête à la sortie de "Diaspora": L'une c'était qu'il y a beaucoup de gens qui ont eu la même expérience que moi, c'est-à-dire que je suis d'une race mixte, et d'une culture mixte aussi. Mes racines mélangent le monde oriental et la Belgique, puis ce fut l'Angleterre. Et je sais qu'en France, la Belgique, la Hollande, il y a pas mal de gens qui sont à moitié arabe, moitié français; leurs parents sont venus ici, ils sont nés ici. Ce sont des "petits arabes" comme on dit; en Egypte, ils m'appellaient la "petite égyptienne". Et ces gens ont grandis avec ces deux choses. Ils aiment bien MTV et en même temps il y a quelque chose qui les attirent de leur culture d'origine, et ils s'identifient avec ma musique, comme moi j'avais fait avec cette musique. Mais, je sais que cela a touché des gens qui n'ont pas ces racines et je ne sais pas pourquoi. Peut-être est-ce ce coté spirituel que l'on retrouve dans cette musique...
Il y a une authenticité dans ta musique que l'on a peut-être un peu perdu nous en Occident.
N- Oui, les occidentaux ont perdu cette spiritualité...beaucoup de choses, en fait, ils ont perdu. Et je pense que le monde Occidental peut apprendre quelque chose du monde Oriental et la même chose est vrai de l'autre coté aussi. Car ici, le monde Occident a un esprit plus ouvert et "relax", et en Orient, la mentalité est plus étroite. Je ne parle pas à propos de femmes, je dis en général. Par exemple L'Occident devrait s'inspirer de l'unité de la famille en Orient, de la communauté, il devrait y avoir un véritable échange de culture.
Est-ce que tu t'es intéréssée à tes origines dés ton enfance ou cela a t-il mis plus de temps?
N- Tu vois, quand j'étais à l'école, je savais que j'avais des racines. Bon, en ce temps-là mes parents s'étaient séparés, mais j'étais toujours consciente quand je vivais en Angleterre que j'étais une étrangère avec une race, une culture différente, tout le monde te le fait remarquer et moi, ça ne me plaisait pas parce que je voulais être comme les autres, je voulais des amis et je n'en avais pas. J'étais toujours rejetée...
Je ne sais pas comment c'est venu. J'ai voyagé un peu, je suis retourné à Bruxelles dans mon quartier et petit à petit j'en ai découvert plus sur mes racines et tout ça. Et puis, j' ai toujours dansée comme font les gens de ma culture, mais j'ai appris la danse du ventre, avec d'autres filles marocaines, avec une canadienne très discipliné. J'ai pris des leçons durant quelques mois et après j'ai commencé à jouer dans les boites arabes, peu à peu j'ai voulu chanter également et je suis retournée en Angleterre pour faire quelque chose qui apartient à mes racines. Parce que quand j'avais quinze ans, j'essayais de chanter un peu jazz, un peu punk, mais rien ne marchait. Alors quand j'ai décidé de m'y mettre plus sérieusement, je voulais que cela soit lié à mes racines, et bizarrement, c'est à partir de ce moment là que ça a commencé à marcher, que j'ai fais des disques et tout ça.
Est-ce que l'éducation que tu as reçu de ta famille a été plus importante pour toi ou est-ce plutôt les expériences, les rencontres qui ont été primordiales?
N- C'est beaucoup plus mon propre intérêt...Mon enfance a été déchirée à cause du divorce, je passais mon temps à pleurer et à la fin j'ai découvert que la seule chose qui était solide dans mon milieu familial, c'était ces racines. Mais, ce n'était pas avant l'âge de, je ne sais pas, 18 ans, que je m'en suis rendu compte et voilà ce que je dois préserver. Tout le reste était déchirée par la stupidité de mes parents, leur peu de jugement, ce n'était pas leur faute, mais bon..Après, ce fut surtout des expériences et des rencontres avec d'autres personnes de ma famille qui m'en ont appris plus; et le fait de voyager etc...
Quand tu étais en Angleterre, enfant, et que tu étais rejetée par les personnes, les camarades autour de toi, tu disais dans une interview qu'alors tu te réfugiais dans tes rêves, et est-ce que ce refuge a été très important pour toi, qu'en reste t-il maintenant avec le recul? Cela a du te faire découvrir en toi d'autres choses?
N- Oui, c'est ça. En fait c'est peut-être à cause de tout ça que j'en suis arrivé là maintenant. Je dois dire que je suis intacte physiquement, mais c'est l'histoire de mon enfance qui est la cause de tout et en fait si c'était différent, si je n'avais pas eu de problèmes, peut-être que je ne serais pas là aujourd'hui, en tant que chanteuse. Je ne sais pas si cela aurait été mieux ou non, parce qu'en fait cette carrière de chanteuse...
j'aime bien chanter, j'aime bien me délivrer de toute cette douleur (elle montre son poing sur son ventre) de cette amertume...c'est comme une thérapie et j'adore la musique classique arabe dont j'apprends les accords qui sont plutôt complexes. Mais le fait d'être photographiée, interviewée et tout...je suis en fait très timide et cela ne va pas de pair avec la profession que j'exerce. Quand je faisais les répétitions pour cette émission tout à l'heure, j'étais mal à l'aise. Alors je veux chanter très bien car c'est cela qui importe, mais en fait je suis mal à l'aise et donc je sais que ce ne sera pas très naturel. Tu vois, c'est en contradiction et je ne sais pas pourquoi.
Par rapport à toute la culture du moyen-orient, l'Occident fonctionne beaucoup par cliché, c'est inévitablement les références aux mille et une nuits, au thé à la menthe, la danse du ventre, est-ce que ces clichés te gène?
N- oui, ça me gène un peu. Quand tu es là-bas, danseuse ce n'est pas respectable; on apprècie ta manière de bouger, le fait que tu sois belle, mais après tout tu ne sera jamais qu'une prostituée, vraiment. Une chanteuse est un peu mieux perçue, mais tout juste. Et pour moi, c'est difficile d'être à la fois dans ces deux milieux si différents. Et par rapport à la façon dont les gens me voient ici comme une "exotique petite plume" ou "oh, elle vient du monde où toutes les femmes sont réprimées"...ce n'est pas vrai que toutes les femmes sont comme ça, c'est juste une question de classe sociale, d'argent et d'éducation. Et ceux qui sont éduqué, elevé à un certain rang social ne sont pas réprimés comme ça, ils ont le choix.
Oui, cela m'irrite, ainsi que cette propagande sur les fondamentalistes religieux qui ont tiré sur un bateau de nuit. Et là-bas, ils disent: "non, en fait c'étaient des agents du Soudan" parce que le Soudan est un vieil ennemi de l'Egypte et ils ne veulent pas que l'économie de l'Egypte se developpe, alors ils font croire que ce sont des fanatiques musulmans, et ce n'est pas vrai, c'est une affaire de gouvernements. Tu vois, il y a plein de trucs...et même là-bas, ils pensent des choses sur l'Occident qui ne sont pas vrai. Alors tu vois, tout le monde est foutu de toutes façons et personne n'apprend rien,vraiment.
Des deux cotés d'ailleurs, ils ne semblent pas tirer les leçons d'erreurs commises par le passé et ils oublient vite. (elle acquiesce avec une mine de dégout). Pour revenir sur ta musique, les deux aspects les plus importants sont l'émotion qu'elle dégage et cette spiritualité dont tu parlait brièvement tout à l'heure, justement est-ce que tu te sens plus mystique, donc plus portée sur les apparences de la religion, plutôt que sur la religion en elle-même?
N- Quand je suis ici, c'est beaucoup plus mystique, là-bas les gens veulent que je montre si je suis musulmane ou si je suis juive ou chrétienne, alors à la fin je me sens...je me sens (soupir) beaucoup plus musulmane qu'autre chose, mais en fait j'ai des racines juives aussi. C'est ainsi, je ne sais pas.
Mais il y a une autre religion qui vient d'un iranien installé en Palestine. Et cet homme dit que toutes les religions ont quelque chose de bonne en elles. Dieu a voulu toutes ces religions parce que les cultures sont différentes mais qu'au fond c'est la même chose. À ça ,je crois vraiment, et ça aussi cela vient du monde Oriental, mais c'est plus mystique. Je me sens un peu juive et une peu musulmane et je respecte...l'année dernière, j'ai fait le Ramadan, mais cette année, je ne peux pas parce que je suis en plein travail et je tomberais malade, mais j'aime bien également le Yom Kippur, le jour où les juifs vont demander pardon.
Et qu'espère-tu donner avec ta musique, faire passer à travers ta musique?
N (elle hésite)- La tolérance et...peut-être de chercher Dieu de votre propre manière. Je ne suis pas du genre à dire qu'Il doit s'appeller de telle manière, ça peut être simplement aussi bien le dieu en eux et je pense que c'est très important., parce que cela les aide à être tolérant, à reconnaitre qu'il y a encore de choses à développer pour sauver le monde des choses terribles qui peuvent nous détruire. Je voudrais nous voir tous survivre. Si ma musique peut inspirer ce genre de pensée, juste penser à propos de la vie un peu plus profondément...c'est tout.
À propos du morceau Feres, tu chante what is written, shall be, aussi crois-tu en la destinée?
N- oh, oui. Je crois beaucoup au destin, que ma destinée est déja écrite. Bien sur, nous sommes un peu responsable pour aider à la matérialisation de tout ça, mais des fois, tu peux essayer très durement de faire aller telle chose de telle coté. Et tu pense que c'est ton destin, tu es sur que "regarde, on doit être ensemble, nous avons tant en commun, c'est évident " et à la fin tu as fait tout pour que ça marche, alors que cela ne devait pas être. Et il y a une raison pour ça. Tu t'en rends compte après. Mais je crois aussi que Dieu veut qu'on l'aide à découvrir notre destinée, qu'on est un peu responsable, que nous devons faire des efforts pour faire des choses. Bien sur, tu peux être mécontent de Dieu parfois, mais ce n'est pas grave (elle cherche ses mots) enfin, je crois que c'est évident que je crois en Dieu maintenant.
Il y a ce morceau que tu chante en français sur l'album "International Times" de Trans-Global Underground qui s'appelle Monter Au Ciel où tu chante notamment "Nage avec moi dans les nuages", et je trouve cette image très belle et j'aimerais savoir si tu tu fais attention au coté un peu plus poètique des choses.
N- J'aime la poésie, mais normalement je trouve que je ne suis pas très poétique. Mais, la poésie est un truc très traditionnel qui vient du monde arabe. Dans l'ancienne manière de composer, il y avait toujours un poète qui écrivait les paroles, les musiciens n'ont jamais fait ça, ni les chanteuses. C'était un métier bien spécifique, bien à eux. Et j'aime bien cet aspect de la tradition, parce que ça veut dire que chacun a un travail; alors qu'ici c'est un peu plus confus. Et là-bas, je ne suis pas un poète, mais ici, j'ai la chance de pouvoir être perçu comme tel; et j'aime la poésie, j'essaie de faire de la poésie et c'est agréable...
Beaucoup de mes morceaux parlent d'amour, en ce sens je suis très traditionnelle par rapport à la musique arabe classique avec mes sentiments vers l'amour. Traité non pas style "i feel so good", mais ce doit être avec poésie; comme les espagnols qui sont très passionnés et meurent aussitôt que ça ne vas pas, c'est la fin du monde pour eux à chaque fois. Les Arabes sont comme ça aussi, je ressens la même chose...jusqu'à la prochaine fois. Je dois dire que les Anglais et Les Européens controlent plus leurs sentiments que les méditérranéens, et ça c'est quelque chose que je ne pourrais jamais faire, je suis trop émotionnelle, c'est mon coté arabe. Mon coté anglais, ce serait plutôt mon sens de l'humour, l'humour anglais est surréaliste, abstrait, totalement "insane".
Et Natacha Atlas nous quitte en nous confiant qu'elle vient d'enregistrer un duo avec l'excellent Abdelli et un orchestre composé d'algériens et de marocains pour le label de Peter Gabriel: Real World, ainsi qu'un autre morceau pour son prochain album avec Jaz Coleman, de Killing Joke. Jaz Coleman qui était l'un des premiers à tenter de mélanger les influences égyptiennes et moyen-orientales et une technologie moderne sur l'album "Songs From The Victorious City" enregistré avec Ann Dudley, l'ancienne Art Of Noise, en 1989.
Sur son nouveau maxi, Natacha Atlas se permet de brouiller les pistes une fois de plus en invitant la charmante Kinky et son ragga aggressif qui étrangement se marie bien avec sa voix enjoleuse. Ces nouvelles versions de Yalla Chant ont été remixé également par Youth et surtout par Banco de Gaia qui y ajoute quelques tonalités Goa? psychédelique dont ils ont le secret.
Celle qui faisait la une de The Wire en juin 95 est promise à un bel avenir, d'autant plus qu'elle n'a pas vraiment de concurrence et que, du moins en Europe, elle repond à un interêt grandissant pour ces cultures arabes, juives que la politique a trop souvent occulté. Gageons qu'elle saura au-delà de cette imagerie pour touristes fainéants, faire groover tous ceux qui apprécient la bonne musique qui sait être organique quand il faut et sait se servir de la technologie pour arriver à ces fins.
"Traveller in the nation of our hearts, journeying through continents and night, you have your own star. A single star shines in the night...Mekhtoub...What is written, shall be". Feres. Natacha Atlas.
Album "Diaspora", MaxiCD "Leysh Nat'Arak" et "Yalla Chant" sur Nation records/Labels.